Une famille "assoiffée de bénéfices" : soupçonnés d'avoir escroqué 1,2 million d'euros à la Sécurité sociale, trois pharmaciens devant la justice
Le procès des trois pharmaciens a eu lieu le mercredi 18 novembre 2025 au tribunal correctionnel de Bayonne. •© France 3 Aquitaine
Publié le18/11/2025 à 18h13 Temps de lecture : 8 mins
Après plusieurs années de procédure et deux renvois successifs, le tribunal judiciaire de Bayonne jugeait ce mardi 18 novembre une affaire d’escroquerie hors norme : une famille de pharmaciens d’Anglet, au Pays basque, soupçonnée d’avoir détourné plus d’un million d’euros à la Caisse primaire d’assurance maladie grâce à un système de facturations frauduleuses.
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Notre politique de confidentialité “Dans cette famille, on est héréditairement escroc, assoiffé de bénéfices”. Les mots de la vice-procureure ont été forts ce mercredi 18 novembre au tribunal correctionnel de Bayonne dans les Pyrénées-Atlantiques.
Sur le banc des prévenus, Olivier, le fils, 44 ans. Marie, la mère de 76 ans et André, le père âgé de 75 ans. Une lignée familiale de pharmaciens devant la justice. Motifs de leur mise en examen : abus de biens sociaux, escroquerie et blanchiment aggravé, au préjudice d’organismes de protection sociale.
Les trois prévenus sont soupçonnés d’avoir détourné au sein de leurs trois pharmacies, situées dans les Landes et les Pyrénées-Atlantiques, plus d’un million d’euros, entre 2009 et 2018. La procureure a requis pour les trois pharmaciens de un à trois ans de peines d'emprisonnement, de 50 à 100 000 euros d'amendes et une interdiction d'exercer.
C'était dans cette pharmacie d'Anglet qu'ont eu lieu les malversations présumées. •© France 3 Aquitaine
Une affaire révélée dès 2017
Tout démarre en 2017. La CPAM de Bayonne détecte alors dans ces pharmacies plusieurs malversations. “On est remonté dossier par dossier de remboursement et nous avons alors découvert des facturations de renouvellement qui n’avaient pas été délivrées, des délivrances fictives de médicaments”, indiquait Florence Darroux, sous-directrice de la CPAM de Bayonne en 2018. Un préjudice estimé à 500 000 euros, qui pousse l'institution à porter plainte.
Une enquête est ouverte. La police judiciaire de Bayonne découvre sur les trois années précédentes des irrégularités dans les deux pharmacies de la mairie et du Bernain à Anglet. Mécanique de l’escroquerie présumée : les pharmaciens auraient falsifié les factures de rétroviraux, utilisés pour soigner le sida ou les hépatites C. Des traitements coûteux, pouvant atteindre les 1000 euros par mois, pour lesquels les pharmaciens percevaient des remboursements indus alors que les médicaments n’étaient finalement jamais délivrés aux patients. Le préjudice est alors réévalué à plus d’un million d’euros. Les prévenus sont renvoyés vers le tribunal correctionnel.
La Caisse Primaire d'Assurances Maladie de Bayonne s'est constituée partie civile. •© France 3 Aquitaine
Mon sentiment est le même qu'il y a 8 ans. C'est-à-dire qu'on sait qu'il s'est passé des choses, mais on ne sait pas exactement lesquelles, ni leur montant, ni leur périmètre.
Antoine Tugas, avocat de la défense
Le fils admet les faits
À la barre, ce mercredi 18 novembre, le fils, a reconnu les faits qui lui étaient reprochés. Mis en examen en 2018 avec son épouse - elle a été mise hors de cause -, l’ex-pharmacien a contesté en revanche les sommes avancées. Lui qui avait en charge la pharmacie de la mairie d’Anglet, a assuré “ne pas avoir profité de l’argent” et “vivre bien, sans plus” depuis les faits. Une affirmation rapidement contrée par la réponse cinglante de Mélanie Mistral, la présidente du tribunal : “Vous avez pris votre pharmacie pour une banque”.
Pour le prévenu, il n'était question que de saisir “des opportunités”. Il nie avoir organisé un système frauduleux. Mais face à l'insistance de la présidente, il finit par livrer, la voix brisée, s’être retrouvé “pris dans un engrenage”, pétrifié “par la peur de l’échec”.
Antoine Tugas, son avocat pointe l'indétermination qui caractérise, selon lui, cette affaire. "Il y a une partie des faits qui sont reconnus par mon client, il n'y a pas de difficulté là-dessus, il l'a toujours dit. Mais tout au long de cette instruction, dont je répète qu'elle a duré huit ans, on en est aujourd'hui au point où on a 4 expertises qui sont, si ce n'est divergentes, en tout cas indéterminées".
Pour lui, les expertises réalisées s'étant basées sur des données informatiques non pas collectées par le pharmacien ni par un organisme tiers mais sur un serveur dématérialisé, difficile donc de ne pas envisager qu'elles soient "corrompues, inexactes ou incomplètes". Un argumentaire selon lui légitime pour faire "bénéficier du doute" à son client, le préjudice réellement subi par les caisses de Sécurité sociale étant difficile à caractériser.
Maître Antoine Tugas, avocat de la défense. •© France 3 Aquitaine
Déni des parents
Le père, lui, conteste les faits d’escroquerie. Dans un procès qui a vu l’ordre des pharmaciens se constituer partie civile aux côtés de la CPAM de Bayonne, de la Mutuelle Générale de l’Education Nationale (MGEN), de la Caisse de la Mutualité Sociale Agricole (MSA) et de la Caisse nationale militaire de la sécurité sociale (CNMSS), il ne fléchit pas. “En quarante ans de carrière, jamais, je n’ai reçu de carton jaune de la Sécurité sociale. Jamais un courrier lié à un quelconque souci”, lance-t-il à la présidente.
S’il admet la fraude fiscale et le blanchiment, il s'est défendu en revanche d’avoir voulu frauder la Sécurité sociale. “Les fausses factures ? Ce sont des erreurs de stock ou des erreurs informatiques”. Marie, la mère, elle aussi, a nié toute volonté d’escroquerie. Elle a affirmé s’en “être remise à son comptable”.
Des réquisitions lourdes
Des explications qui n'ont pas convaincu la vice-procureure. Considérant que cette fraude révélait un "système d'escroquerie familiale", elle a dénoncé le préjudice financier, économique et de confiance qui caractérisait cette affaire. "Ils ont abusé de la confiance de leur client et de celle du système de la Sécurité sociale".
Pour elle, la volonté d'enrichissement patente, "pour un préjudice de plus de un million d'euros" envers cinq organismes de protection sociale, avait pour but l'enrichissement personnel des prévenus, qui "cherchent à amoindrir leur responsabilité en la rejetant en partie sur leur comptable".
Les faits ayant été jugés entièrement établis selon la vice-procureure, les réquisitions du parquet sont donc lourdes. Pour le fils, le ministère public demande trois ans d’emprisonnement, dont deux ans assortis d’un sursis probatoire, ainsi qu’une amende de 100 000 euros, une interdiction définitive d’exercer, et l’obligation d’indemniser les parties civiles.
Concernant le père, le parquet sollicite également trois ans de prison, mais intégralement avec sursis probatoire, une peine accompagnée de la même amende que celle requise pour son fils, ainsi que de l’obligation d’indemniser les parties civiles. Pour la mère, les réquisitions sont plus légères : un an d’emprisonnement avec sursis et une amende de 50 000 euros.
La première victime, c'est la société, c'est nous tous.
Jeanne François, vice-procureure du parquet de Bayonne
Un dossier plusieurs fois reporté
Le dossier avait déjà été renvoyé à deux reprises, une première fois en novembre 2024, puis le 13 mai 2025, en raison d’une erreur dans l’ordonnance de renvoi — les faits de blanchiment n’y figuraient pas, alors qu’ils faisaient partie des chefs de poursuite. Les prévenus encouraient des peines lourdes, jusqu’à 7 ans de prison et 750 000 € d’amende pour escroquerie aggravée, 5 ans et 375 000 € pour abus de biens sociaux, 10 ans et 750 000 € pour blanchiment aggravé. La décision a été mise en délibéré au 17 février.
Le procès, après avoir été reporté par deux fois, se tient au tribunal judiciaire de Bayonne le 18 novembre. •© France 3 Aquitaine
Un contexte national tendu
Ce procès intervient dans un contexte où l’Assurance maladie intensifie sa lutte contre la fraude. Selon les derniers chiffres publiés en mars 2025, le montant des fraudes s’établissait à 628 millions d’euros en 2024, un chiffre en hausse de près de 35 % par rapport à 2023, un record.
L’étude, qui met à jour une répartition des fraudes par catégories d’acteurs, relève que si les assurés représentent 52 % des cas de fraude pour 18 % des montants détournés, à l’inverse, les professionnels de santé sont impliqués seulement dans 27 % des fraudes mais ils concentrent 68 % des sommes en jeu.
article fr3 https://france3-regions.franceinfo.fr/nouvelle-aquitaine/pyrenees-atlantiques/bayonne/une-famille-assoiffee-de-benefices-soupconnes-d-avoir-escroque-1-2-million-d-euros-a-la-securite-sociale-trois-pharmaciens-devant-la-justice-3251440.html