En 2022 déjà, la proposition de la SNCF aux conductrices de trains de fret pour pallier le manque de WC avait fait bondir. En effet, alors que ces dernières réclamaient un accès aux toilettes plus facile depuis des années, l’entreprise ferroviaire avait répondu en leur offrant des culottes menstruelles, censées leur permettre de conduire des trains plus longtemps sans changer de protection hygiénique.

Trois ans plus tard, aucune solution viable n’a été apportée aux agents de conduite qui passent parfois toute une journée sans pouvoir se rendre aux WC. Emma* a 30 ans, et depuis environ un an elle conduit des trains de banlieue en région parisienne. Depuis qu’elle est rentrée à la SNCF, elle apprécie la plupart des aspects de son travail.

« Quand je suis rentrée, je trouvais ça plutôt chouette qu’ils veuillent féminiser la profession, je n’ai jamais eu de problèmes à intégrer un monde plutôt “masculin” et j’ai été plutôt bien intégrée, avec une logique de discrimination positive. Sur ma ligne, on est entre 10 et 15 % de femmes. J’ai beaucoup de collègues qui sont devenus des amis. »

Bémol important, depuis un an Emma a dû apprendre à contrôler sa vessie au risque de sa santé : « Le problème sur ma ligne, c’est que c’est une grande ligne et il n’y a pas de WC partout. Il y en a dans les grandes gares et au terminus mais pas partout. Quand on a une envie pressante, on n’a pas de solution. Les hommes peuvent ouvrir la porte de la cabine et se soulager même si d’un point de vue de dignité c’est pas terrible, mais pour les femmes, c’est carrément impossible. Donc, la seule solution c’est de se retenir et de ne pas boire.

Quand on bosse en horaires décalés, on tourne beaucoup au café et le café ça donne envie d’aller aux toilettes, alors on ne boit pas d’eau à côté et c’est très mauvais pour les reins. En n’allant pas aux toilettes on risque une infection, on doit faire un choix. »

D’un bout à l’autre de la ligne sur laquelle conduit Emma, l’accessibilité aux WC est un véritable parcours du combattant : « Dans certaines grosses gares où on a quelques minutes d’arrêt il n’y a même pas de WC accessibles. Pareil sur certains lieux de garage qui sont désaffectés où il n’y a rien. Donc tu gares ta rame, tu as fini ta journée de travail et tu as une heure et demie de train pour rentrer chez toi, mais tu ne peux pas soulager ta vessie avant de rentrer, ou alors tu t’accroupis au milieu des voies de garage…

Dans d’autres gares, il y a des toilettes, mais pour y aller c’est le parcours du combattant, un véritable labyrinthe. Moi en formation, on ne m’a pas montré toutes les toilettes, parce que même les moniteurs n’ont pas toujours l’info. Ça fonctionne par le bouche-à-oreille en fait, d’un collègue à l’autre. Souvent, ce sont des toilettes initialement réservées aux agents commerciaux qu’on nous prête, mais dont l’accès n’est pas indiqué, voire auxquelles on n’a pas les accès. » À plusieurs reprises, témoigne Emma, elle s’est retrouvée devant des portes que son badge n’ouvrait pas.

Et quand elle a accès à des toilettes, celles-ci ne sont pas forcément adaptées à ses besoins : « Quand j’ai mes règles j’utilise une coupe menstruelle qui nécessite un accès facile à un lavabo, et à part dans les toilettes aménagées pour les personnes handicapées, il n’y a jamais de quoi se laver les mains ou laver la cup. Et si nos protections sont mal lavées, on risque un choc septique. En plus, dans ces moments-là, on a souvent besoin d’un peu d’intimité pour se changer et les toilettes sont presque toujours mixtes. »

Enfin, le principal problème qu’elle souligne est lié à des horaires trop serrés pour lui permettre de se rendre aux WC : « On a des journées où on fait des allers-retours de deux fois 20 minutes avec un temps de retournement trop court pour aller aux WC. » Le temps de retournement, c’est le temps qu’il lui faut pour changer de bout sur le train, remettre la machine en route de l’autre côté pour repartir dans l’autre sens. « Les toilettes sont trop loin de là où on stationne nos rames donc si j’y allais, je mettrais 10 minutes de retard à mon train. »

Pourtant, les solutions pourraient être relativement simples à mettre en place : « Pour répondre à ces problématiques, on pourrait juste allonger de 5 minutes le temps de retournement, pour nous permettre d’avoir le temps de faire pipi. Là ça nous pousse à mettre les trains en retard parce qu’on doit choisir entre notre santé ou bien faire notre travail. À long terme, il faudrait réhabiliter les toilettes dans les trains parce que là, elles existent mais elles sont condamnées, ou même installer plus de toilettes accessibles dans les gares. Sur un trajet où il y a 50 gares, par exemple, on pourrait exiger qu’il y ait une solution pour se soulager environ toutes les 7 gares. Parce que là, c’est dangereux : on est en hypervigilance, on se dandine, on est focalisés sur notre vessie et on regarde beaucoup moins ce qui se passe devant notre train. C’est une vraie charge, en plus, de planifier ce qu’on boit et où on va aller aux WC. »

*Le prénom a été modifié

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ARTICLE   https://www.revolutionpermanente.fr/SNCF-Pas-de-WC-pour-les-conductrices-de-train-La-seule-solution-c-est-de-ne-pas-boire