Soixante ans après les inondations historiques de la Corrèze à Tulle, Alain qui avait alors 14 ans, se souvient de tout. En 24 heures, 1/8e des précipitations normalement enregistrées sur une année entière sont relevées sur les Monédières ; à Aubazine, c’est un ouvrier de l’usine de carton qui est emporté par la Corrèze dont le débit a brutalement grossi ; à Tulle, la ville est littéralement noyée sous l’eau.
Sur le parvis de la cathédrale, le niveau est monté jusqu’à 2,20 m, relève-t-on à 21 heures sur le porche. Et ça ne fait que débuter. Le déluge qui a commencé le lundi 3 octobre s’est poursuivi toute la nuit jusqu’au mardi 4 octobre 1960, prenant tout le monde de court par sa violence.
800 sinistrés à TulleDans la cité préfecture, on dénombre, après ces violentes précipitations, 800 sinistrés, quatre usines inondées, dont la Marque, plusieurs ponts arrachés par la fureur des flots… La route vers Brive est coupée, tout comme l’électricité et le téléphone. " J’ai dû faire appel à la gendarmerie pour organiser, par voiture radio, une liaison avec le monde extérieur dont j’étais entièrement coupé", indique le préfet de l’époque Pierre Dejan, dix jours après la catastrophe, dans son rapport transmis au ministère de l’Intérieur. Le garde des Sceaux Edmond Michelet, en visite à Tulle, le 10 octobre 1960 estimera qu’ "il s’agit là d’un phénomène météorologique sans précédent depuis 150 ans."
"Les éléments sont déchaînés !"
Collégien à l’époque, un Tulliste, Alain, a gardé en mémoire de nombreux détails de ces inondations historiques. Il a alors 14 ans, habite avec ses parents dans le vieux Tulle au troisième étage du 16 rue du Trech, à quelques dizaines de mètres de la Corrèze. Il se souvient des trois jours précédents du vent et de la pluie, déjà abondante et qui a saturé les sols. Il se rappelle aussi les signes précurseurs du sinistre.
"Monsieur Gibiat, directeur de Turgot, en fermant d’un geste auguste les fenêtres à chaîne de la classe de quatrième le lundi 3 octobre après-midi, a eu ces mots : "Les éléments sont déchaînés !" Il ne croyait pas si bien dire ! " La situation ne tarde pas à se dégrader. Alors qu’il rentre chez lui, Alain remarque, aux alentours de 18 heures : "La rivière Corrèze passait à peine sous le pont de la bascule (appellation de l’époque du pont Choisinet), hauteur que je n’avais jamais vue auparavant et menaçait de déborder sur le quai de la République. "
Le phénomène gagne en intensité, poursuit-il. "A la nuit tombée a commencé le débordement de la Solane dans le quartier du Trech. D’abord l’eau de ruissellement gonflait bizarrement dans les caniveaux de part et d’autre de la route, comme pour un gros orage. Mais bientôt les eaux se sont rejointes sur la chaussée pour devenir un ruisseau, puis un torrent… La Solane grondait dans son tunnel si bien que les plaques d’égout en fonte ont fini par sauter à plusieurs mètres de haut sous la pression, libérant des geysers d’eau."
Le torrent installé dans la rue charriait des arbres morts et divers éléments des premières vitrines brisées des commerces riverains, emportés par le courant
Alain (Témoin des inondations de 1960)
Heureusement, se souvient Alain, les ouvriers ont pu quitter l’usine à temps : " Mon oncle est revenu vers 21 heures de l’usine de la Marque, où il faisait équipe du soir, la direction avait jugé prudent de faire sortir le personnel par la Botte, juste au-dessus. Bien lui en a pris car l’usine fut inondée et le pont sur la Corrèze a été emporté dans la nuit. Plus tard, l’eau de la Corrèze est venue submerger graduellement le torrent dans le Trech, laissant place à des eaux de plus d’un mètre cinquante de haut devant mon domicile. "
Archives : le pont de la Gendarmerie de Tulle, presque inchangé depuis les travaux de 1963
La boue épaisse et collante
Il se remémore aussi très bien ce que fut l’attente fébrile jusqu’au lendemain. "La nuit fut courte et angoissante dans un silence pesant et le petit matin permit de découvrir un spectacle de désolation. L’eau s’est retirée dans la journée pour laisser place à une boue épaisse et collante. On a pu sortir à nouveau pour constater l’ampleur des dégâts dans le quartier. J’ai passé le reste de la journée à aider les commerçants à dégager leur pas-de-porte et récupérer ce que l’eau n’avait pas emporté. " Un flot de souvenirs qui a laissé des traces, confie Alain, 60 ans plus tard, jour pour jour aujourd’hui : « Nos esprits sont marqués à jamais par ce que nous avons vécu et je garde depuis toujours un œil sur l’état de la rivière chaque hiver… »
Julien Bachellerie